Régimes : la petite sonate qui nuit
« Trop de forme ici. Ou là. Ou ici et là. » « Trop de ventre, trop de taille ». Vous vous trouvez gros ? La suite de cette histoire dépend, bien sûr, de vous. Mais, aussi, de votre médecin et de son attitude face à l’engrenage des régimes. Démonstration du Pr Jean-Michel Lecerf [1].
« Pendant longtemps, on a dit et répété aux médecins que l’obésité était dangereuse pour leurs patients, ce qui est vrai, explique le Pr Jean-Michel Lecerf (1). On a, aussi, assuré aux praticiens qu’ils devaient faire maigrir leurs patients. Ils ont essayé de le faire, parfois en terrorisant les personnes et en se contentant d’affirmer qu’il suffisait de manger moins… » Le problème ? Le corps médical avait « oublié » de considérer à quel point maigrir – et surtout maigrir mais ne pas regrossir – peut être difficile. Ou il ignorait qu’après un régime, une reprise de poids n’est pas uniquement liée au comportement alimentaire : des mécanismes biologiques entraînent un très fort restockage de lipides (graisses), encore accentué en cas de prédisposition génétique.
Cette vision médicale schématique et trop peu soucieuse de la complexité, des causes ou des conséquences de l’obésité, a conduit médecins – et patients- à de nombreux échecs. « Or les médecins ne sont pas formés à l’échec. A leurs yeux, les problèmes de poids sont devenus un domaine non gratifiant, décourageant. Beaucoup ont capitulé. Ils se sont reprochés les échecs… ou ils les ont reproché aux patients, admet le Pr Lecerf. En réalité, ne plus grossir, ou ne pas regrossir, ou bien avoir obtenu des pertes de poids modestes mais durables, cela représente un réel succès. »
Comment améliorer la collaboration médecin-patient ?
En grande partie, par l’écoute de la personne. Son histoire familiale, la répartition des tissus adipeux, les risques de santé, une augmentation de poids au fil des ans : voilà quelques-uns des éléments à prendre en compte, tout comme l’aspect psychologique. Depuis quand le patient se trouve-t-il trop gros ? Est-ce parce qu’on le lui a dit ? Quelle image a-t-il de lui-même ? A-t-il des angoisses…?
Avec une telle approche, il devient possible de poser un diagnostic lié au contexte et à la psychologie, et de proposer des outils adaptés, y compris lorsqu’il ne s’agit pas de patients obèses. « Le rôle du praticien est d’examiner la plainte, sans la juger ni la rejeter, même lorsqu’il estime que cette perception n’est pas fondée et que le poids ne semble pas excessif « , rappelle le Pr Jean-Michel Lecerf. Et lorsque l’excès de poids s’avère une réalité, encore faut-il rechercher ses causes avant d’entamer une réflexion sur ce que la personne peut modifier dans sa vie. « Pour une obésité sévère, sans essayer de temporiser ou de s’improviser nutritionniste, le généraliste devra sans doute déléguer vers un médecin spécialisé. Mais cela n’exclut pas de collaborer au projet thérapeutique « , constate-t-il.
En tout cas, l’échec n’est pas une fatalité : certaines personnes maigrissent. « Souvent, souligne le spécialiste, ce sont celles sur lesquelles pèsent le moins de facteurs psychologiques et génétiques, celles qui parviennent à changer durablement leur mode de vie, qui bénéficient d’une prise en charge adaptée pas trop tardive et qui traitent leur problème avec douceur, sans agressivité, en se donnant du temps. » Cela signifie que, pour elles, le médecin n’est pas un personnage miraculeux doté de clés (et donc de régime) magiques. Mais un allié au long cours. Une différence de poids.
A qui la faute ?
Souvent, « le thérapeute se réfugie derrière une prescription autoritaire, simpliste, sous tendue par une physiologie imaginaire, qui permet de ne pas être confronté à l’échec généré par un accompagnement. L’échec sera renvoyé au patient qui n’a pas su se restreindre suffisamment longtemps et strictement. C’est la perversion d’une médecine toute puissante et arrogante, tant en direction des patients que des confrères.(…) C’ est la marche en avant du système des régimes. »
Pr Jean-Michel Lecerf, colloque « Alimentations particulières. Les dessous des régimes. Raisons et déraisons. »
[1] Spécialiste en endocrinologie et maladies métaboliques, attaché consultant au CHU de Lille et professeur associé à l’Institut Pasteur de Lille (France).