« On a beau me dire le contraire, je me trouve trop gros (grosse). Pourquoi ? »
Ainsi que l’explique le Pr Jean-Michel Lecerf, spécialiste en endocrinologie et maladies métaboliques, attaché consultant au CHU de Lille et professeur associé à l’Institut Pasteur de Lille (France), « la norme impose, de manière très forte, une société d’apparence, encore plus pesante sur les personnes psychologiquement fragiles. Dans notre société d’image, nous sommes tous confrontés au regard des autres, ou à ce que l’on imagine du regard des autres. Les souffrances que cela entraîne s’ajoutent au regard que l’on porte sur soi ou à la gêne, réelle, qui existe en cas d’obésité. Pour faire bouger les choses, nous pourrions commencer par changer notre regard sur les autres. Nous devons aussi apprendre à accepter nos limites et nos différences, inhérentes à une réalité biologique que tend à gommer certains discours médiatiques. Notre éducation nous pousse également à demander à nos conjoints et à nos enfants d’être différents de ce qu’ils sont… »
« Je me sens gros (grosse). Pourquoi me déconseille-t-on d’entamer un régime ? »
Toute modification diététique inutile, mal comprise ou mal vécue peut entraîner des effets inverses à ceux recherchés, c’est-à-dire une reprise de poids supérieur à la situation initiale, prévient le Pr Jean-Michel Lecerf, spécialiste en endocrinologie et maladies métaboliques à l’Institut Pasteur (Lille). Dès lors, la plus grande prudence s’impose, par exemple avant d’encourager des régimes chez les jeunes (les restrictions risquent de les mener à des troubles du comportement alimentaire), les femmes en ménopause et les personnes âgées.
De plus, « L’immense majorité des régimes négligent la fonction psychologique (le plaisir) et relationnelle ou sociale liées à l’alimentation. Ils nient la complexité alimentaire, et ne proposent qu’un « pacte biologique limité », fondé sur le seul aspect nourrissant, rappelle le Pr Jean-Michel Lecerf. En effet, ils s’appuient généralement sur une seule grille d’analyse, celle des « bons » et des « mauvais » aliments, sans se préoccuper de l’insatisfaction liée à l’absence de la dimension de plaisir et de relation. Les personnes au régime se privent. Elles se sentent frustrées. Dès lors, elles craquent, mangent les « mauvais aliments » et se culpabilisent. Ce régime imposé de l’extérieur finit par faire entrer dans un système où l’on passe du « mauvais aliment » au « mauvais comportement », puis du « mauvais mangeur » au « mauvais obèse ». Au final, c’est le régime qui rend malade. »
Il n’existe pas de réponse « simple » aux problèmes de poids ou aux supposés problèmes de poids. L’objectif n’est pas de se restreindre, mais de gérer l’alimentation différemment, en souplesse, en écoutant ses sensations corporelles. Le tout, sans négliger les besoins de plaisir et de partage liés à la nutrition.
« Ne pas faire de régime, est-ce que cela veut dire qu’il n’y a rien à faire ? »
Face à une prise de poids non désirée, rien n’empêche de se poser les mêmes questions que celles demandées par le médecin : « Comment est-ce que je mange, pourquoi est-ce que je prends du poids, que s’est-il passé pour l’expliquer ? »
Au début d’une prise de poids, on trouve toujours des causes comportementales. Mais ensuite, on identifie des différences individuelles s’y ajoutent : nous ne sommes pas égaux face aux kilos.Trois types de facteurs influencent le poids : des prédispositions génétiques, des facteurs liés au mode de vie (comme la sédentarité) et des facteurs déclenchants, familiaux ou psychologiques (la ménopause, un divorce, un traumatisme, une agression sexuelle…).
Pour perdre du poids, la question à se poser, c’est celle-là : « Qu’est-ce que je peux changer aujourd’hui ? ». Ce qu’il est difficile de modifier aujourd’hui sera repoussé à une autre fois… Le « truc », c’est : un pas à la fois.
L’obésité, assure le Pr Lecerf, spécialiste en endocrinologie et maladies métaboliques à l’Institut Pasteur (Lille), est une maladie complexe, dont nous ignorons encore certaines causes, et face à laquelle nous sommes en partie démunis. Ceux qui prétendent le contraire mènent ceux qui les écoutent à l’échec. On sait, actuellement, que cesser de prendre du poids est un objectif bien plus crucial que de maigrir…
« Mon enfant est plutôt gros. On se moque de lui à l’école. Que faire ? Comment le protéger ? »
C’est peut-être plus facile à dire à dire qu’à faire mais… face à un enfant rondouillard, « enveloppé » ou trop gros, prendre du recul n’est pas inutile. « Les critiques ne touchent pas de la même manière tous les enfants concernés. Cela varie souvent en fonction de la manière dont leur surpoids est considéré au sein de leur famille, remarque le Pr Nicolas Zdanowicz, psychiatre aux Cliniques Universitaires Mont-Godinne. Mais même dans les familles où les parents vivent « bien » leur surpoids, un enfant peut se sentir mal face aux réflexions. Un autre élément entre également en considération : les filles et les garçons jugés trop gros ne sont pas « mangés » à la même sauce. Pour les garçons, le surpoids peut être lié à la puissance physique, et devenir un bénéfice secondaire. Pour les filles, en revanche, la vision sera plus facilement négative. »
En tout cas, pour les parents (et ce conseil concerne tout sujet de raillerie auquel est exposé un enfant), « la première règle est de ne pas banaliser ces moqueries probablement non évitables, mais de ne pas dramatiser non plus la situation », poursuit le Pr Zdanowicz. Quant aux parents qui ne comprennent pas, parfois, où se trouve le problème, pour être soutenants, il leur faut rester à l’écoute de l’enfant. Et se montrer chaleureux.
« L’idée, c’est que les parents puissent dire à l’enfant : « Il y a un problème, il existe une solution » », poursuit le psychiatre. Une discussion peut alors être amorcée sur ce que le jeune ressent par rapport aux critiques, et sur l’importance qu’il leur accorde. Parfois, il ne vit pas mal son surpoids. Mais ses kilos entraînent des regards, des mots : ils ont un coût. S’entendre reprocher son poids, est-ce vraiment grave à ses yeux ? Quelle place accorde-t-il aux critiques ? C’est le moment de lui expliquer que, toute sa vie, il y sera confronté, sur ce thème ou sur un autre. Tout le monde passe par là, avant de finir par apprendre à amortir les chocs ou à les gérer. Décide-t-il de ne pas changer, tout en sachant à ce à quoi l’expose cette attitude ? Ou bien l’impact des moqueries l’incite-t-il à vouloir maigrir ? Cette option-là a un prix, elle aussi… Mais ses parents peuvent lui dire que, quelque soit son choix, ils tenteront de l’aider. »
Enfin, pourquoi ne pas parler aux enfants du droit à la différence, et du fait que l’on peut (ou que l’on doit) s’aimer soi-même, avec ses différences ? « Toutefois, ce discours n’aura d’impact que si les adultes reconnaissent que ces différences font parfois mal… », rappelle le psychiatre.
« Mon enfant est à l’école primaire. Il prend du poids et devient plutôt gros. Que puis-je faire ? »
« Chez l’enfant de moins de 12 ans en surcharge pondérale modérée, les mesures à prendre visent à stabiliser le poids pendant que la croissance se poursuit, explique Marie-Josée Mozin, diététicienne pédiatrique et présidente honoraire du Club européen des Diététiciens de l’enfance [1]. En revanche, lorsqu’une obésité est déjà installée, il faudra obtenir un amaigrissement de l’enfant. » Conclusion : dès qu’un surpoids s’installe, il est temps de bouger. A ce stade, on augmente ses chances d’être efficace.
Pas de langue de bois : en grande partie, un enfant grossit en raison de son mode alimentaire. C’est-à-dire qu’il prend du poids à la fois en raison du choix des aliments, de la répartition des repas (combien de fois par jour mange-t-il ?) et du comportement à table (par exemple, a-t-il bien le temps de manger et de le faire en mâchant tranquillement ?). Parallèlement, moins un enfant bouge, moins il élimine ce qu’il a consommé. Or plus il grossit, plus il risque de se sentir « dépassé » lors des activités sportives…
Un petit tour d’horizon des comportements actuels, sans culpabilisation, permet de mieux repérer les changements à opérer. Si cela vous semble difficile, des diététiciens pédiatriques ou des équipes multidisciplinaires sont là pour vous aider. Et pour éviter les erreurs. Demandez au généraliste ou au pédiatre ce qu’il en pense…
Les restrictions ou les régimes – vécus comme de vraies punitions -, personne n’en veut. « L’objectif d’une prise en charge nutritionnelle consiste à modifier, à long terme, les habitudes alimentaires et le mode de vie, tout en considérant que ces comportements sont « normaux ». Il ne s’agit pas d’un régime au long cours », souligne Marie-Josée Mozin. Bref, on peut manger varié et équilibré, tout en se faisant plaisir.
Par ailleurs, confirment les spécialistes des consultations diététiques, chez l’enfant obèse, la motivation est essentielle. C’est à lui de décider s’il se sent prêt à perdre du poids. Et, dans tous les cas, à lui d’entendre qu’il n’est pas coupable de ses kilos : « Certains facteurs de risque sont totalement indépendants du comportement », rappelle la diététicienne.
« Les résultats à long terme dépendent de la motivation de départ et de la capacité de toute la famille à modifier définitivement des habitudes de vie », insiste Marie-Josée Mozin. Pour tous, donc, il s’agit de manger davantage de légumes et de fruits, de diminuer graisses et sucre, de prendre 4 repas par jour seulement, de faire des activités de loisir ou de sport…
Un dernier point, non dénué d’importance : la plupart des enfants de primaire consomment de 30 à 50 % de leurs apports nutritionnels à l’école. La composition de la boîte à tartine et celle des menus des repas chauds méritent donc une attention particulière. Celle des goûters, aussi. Pour les collations de 10 H, c’est simple : elles sont inutiles, car rien ne remplace un vrai petit-déjeuner. Aux parents de montrer l’exemple, du matin au soir.
« Je suis institutrice. Un enfant de ma classe est plutôt gros. Il est l’objet de moqueries et d’exclusion de la part des autres enfants. Que puis-je faire ? »
« En premier lieu, c’est la question globale de l’intégration de l’enfant qui doit être posée. S’il est bien intégré, mais qu’il fait l’objet de critiques ou de railleries, sans doute peut-on se contenter d’une approche ou d’une éducation destinée à toute la classe sur le « bien manger », estime le Pr Nicolas Zdanowicz, psychiatre aux Cliniques Universitaires Mont-Godinne. Certains enfants gros ont plein d’amis. D’autres pas. Certes, cet état encourage facilement aux moqueries. Mais, parfois, le poids n’est qu’un prétexte : avec ou sans surpoids, l’enfant est ou serait « mal » avec les autres. Il faut donc aller voir plus loin que le poids, et ne pas se focaliser uniquement sur l’obésité. Le tout sans oublier que plus un enfant est « mal », plus il risque de consommer. En tout cas, cette situation donne l’occasion de parler avec tous les élèves du « comment être avec les autres », de la manière de se comporter, d’être en relation. »
Cela dit, encore faut-il rester conscient qu’il n’existe pas de télécommande pour changer les autres, rappelle le psychiatre. « C’est en cela, aussi, que la place de l’adulte est importante, parce qu’il s’agit de montrer à l’enfant que, lorsqu’il est confronté à un problème, il peut agir et y faire face. C’est ainsi qu’il ne se placera pas en victime potentielle toute sa vie. Il est possible d’apprendre de ses défauts, d’en faire des forces ou de lutter contre eux. En tout cas, ce n’est pas aux autres de nous dicter ce que nous devons être. Gare, donc, aux interventions frontales, qui pourraient activer la blessure : l’objectif est de rendre les gens acteurs de leur sort », ajoute-il.
Pour résumer, le but du jeu, c’est qu’un enfant, peu aimé à un moment donné, puisse le devenir davantage. Mais sans qu’on le prenne en pitié, car cela ne vaudrait pas mieux pour son amour-propre ! En revanche, pour tous les enfants, on peut cibler un chouette sujet d’intervention autour d’un thème « éthique ». A leur niveau, il se résume par un : « Si on me faisait ça…. » (sans se focaliser sur l’obésité). « Apprendre à être », c’est, aussi, le rôle de l’école…