Le poids ? Une question de regard…

Jeune (et même très jeune) ou plus âgé(e) : tout le monde, ou presque, est entré dans la danse du « j’ai des kilos en trop ». Le Pr Jean-Michel Lecerf [1] met en garde contre cet air entraînant, en faisant l’éloge de la différence.

Se trouve-t-on gros, ou trop gros, en raison du poids de la norme, qui pollue notre vision ?

Pr Jean-Michel Lecerf : La norme impose, de manière très forte, une société d’apparence, encore plus pesante sur les personnes psychologiquement fragiles. Dans notre société d’image, nous sommes tous confrontés au regard des autres, ou à ce que l’on imagine du regard des autres. Les souffrances que cela entraîne s’ajoutent au regard que l’on porte sur soi ou à la gêne, réelle, qui existe en cas d’obésité.

Comment sortir de la norme ?

Pour faire bouger les choses, nous pourrions commencer par changer notre regard sur les autres. Nous devons aussi apprendre à accepter nos limites et nos différences, inhérentes à une réalité biologique que tend à gommer certains discours médiatiques. Notre éducation nous pousse également à demander à nos conjoints et à nos enfants d’être différents de ce qu’ils sont…

Lorsqu’on se sent gros, vous n’encouragez pas à « faire régime ». Pourquoi ?

Toute modification diététique inutile, mal comprise ou mal vécue peut entraîner des effets inverses à ceux recherchés, c’est-à-dire une reprise de poids supérieur à la situation initiale. La plus grande prudence s’impose avant, par exemple, d’encourager des régimes chez les jeunes (les restrictions risquent de mener à des troubles du comportement alimentaire), les femmes en ménopause et les personnes âgées. Il n’existe pas de réponse globale aux problèmes de poids ou aux supposés problèmes de poids. L’objectif n’est pas de se restreindre, mais de gérer l’alimentation différemment, en souplesse, en écoutant ses sensations corporelles. Le tout, sans négliger les besoins de plaisir et de partage liés à la nutrition.

La naissance du poids Les régimes peuvent faire naître des troubles du comportement alimentaire, et c’est spécialement le cas lorsqu’ils débutent à l’adolescence. « L’immense majorité des régimes néglige la fonction psychologique (le plaisir) et relationnelle ou sociale liées à l’alimentation. Ils nient la complexité alimentaire, et ne proposent qu’un « pacte biologique limité », fondé sur le seul aspect nourrissant, rappelle le Pr Jean-Michel Lecerf. En effet, ils s’appuient généralement sur une seule grille d’analyse, celle des « bons » et des « mauvais » aliments, sans se préoccuper de l’insatisfaction liée à l’absence de la dimension de plaisir et de relation. « Les personnes au régime se privent. Elles se sentent frustrées. Alors, elles craquent, mangent les ’mauvais aliments’ et se culpabilisent, détaille le spécialiste. Ce régime imposé de l’extérieur finit par faire entrer dans un système où l’on passe du ’mauvais aliment’ au ’mauvais comportement’, puis du ’mauvais mangeur’ au ’mauvais obèse’. Au final, c’est le régime qui rend malade. »

Quant à l’obésité, il s’agit d’une maladie complexe, dont nous ignorons encore certaines causes et face à laquelle nous sommes en partie démunis. Ceux qui prétendent le contraire mènent à l’échec. On sait, actuellement, que cesser de prendre du poids est un objectif bien plus crucial que de maigrir…

Quand on se trouve trop gros, quelles questions se poser ?

Les mêmes que celles posées par le médecin : « Comment est-ce que je mange, pourquoi est-ce que je prends du poids, que s’est-il passé pour l’expliquer ? » Trois types de facteurs influencent le poids : des prédispositions génétiques, des facteurs favorisants liés au mode de vie (comme la sédentarité) et des facteurs déclenchants, familiaux ou psychologiques (la ménopause, un divorce, un traumatisme, une agression sexuelle…). Au début d’une prise de poids, on trouve toujours des facteurs comportementaux. Ensuite, les différences individuelles s’y ajoutent : nous ne sommes pas égaux face aux kilos. Finalement, la question à se poser, c’est celle-là : « Qu’est-ce que je peux changer aujourd’hui ? ». Ce qu’il est difficile de modifier ce jour, sera pour une autre fois… Le « truc », c’est un pas à la fois.

Interwiew : Pascale Gruber

[1] Spécialiste en endocrinologie et maladies métaboliques, attaché consultant au CHU de Lille et professeur associé à l’Institut Pasteur de Lille (France).