A force de réfléchir à ce qu’on peut manger et ce qu’on doit éviter pour respecter son régime, on en oublie d’écouter notre corps et ses signaux de faim ou de satiété. Or ces sensations sont nécessaires pour réguler notre alimentation et notre poids.

Lorsqu’on se met au régime, ça commence dans la tête, pas dans l’estomac. Que puis-je manger ? Combien de calories ai-je déjà ingurgitées aujourd’hui ? Quel aliment sera le plus léger ?

Pour qualifier cette « mobilisation générale » de l’attention, les spécialistes parlent de restriction mentale ou cognitive. A force de réfléchir à notre alimentation, les choix se font de façon intellectuelle, mais les signaux que le corps nous envoie (la sensation de faim ou de satiété) ne sont plus entendus et ne peuvent plus jouer leur rôle de régulateur.

Pourtant ces signaux sont essentiels pour réguler notre poids puisqu’ils permettent d’adapter naturellement les apports alimentaires aux réels besoins du corps. Ainsi, les personnes au régime ont plus de difficultés à sentir quand elles sont rassasiées et à faire la différence entre la faim et l’envie de manger. Or, en l’absence de faim, les envies répondent plutôt à des besoins psychiques : se faire plaisir, se rassurer, se réconforter, compenser des émotions déplaisantes…


Chez ce que l’on appelle le « mangeur régulé », qui mange en fonction de ses sensations alimentaires et a un poids stable, le poids se maintient, grâce aux sensations de faim et de satiété, autour d’une valeur de référence – qui est déterminée par les gènes, et non par les normes des magazines ou des compagnies d’assurance… Même si un individu prend ou perd du poids ponctuellement, les sensations alimentaires le conduisent à réguler automatiquement et inconsciemment ses apports alimentaires afin de retourner à son poids d’équilibre. Celui-ci est d’ailleurs plutôt une « fourchette » de poids d’équilibre, et peut varier de quelques kilos à la hausse ou à la baisse sans que la machine ne s’affole.

Les personnes qui se mettent au régime vont tenter de « court-circuiter » ce système qui est fait pour s’autoréguler. Elles appliquent un contrôle mental sur le type et/ou la quantité d’aliments ingérés. C’est ce qui s’appelle la « restriction cognitive », définie comme « une intention de contrôler mentalement ses apports alimentaires dans le but de maigrir ou de ne pas grossir » [1]. Notons bien qu’il s’agit d’une intention, qui ne laisse rien présager des résultats réels !… De plus, cet état peut évoluer en présentant certains inconvénients.

Le phénomène de restriction cognitive s’installe à travers quatre stades :

  • Les émotions et les sensations alimentaires (faim, rassasiement, satiété) sont perçues mais délibérément ignorées.
  • Les sensations et émotions alimentaires sont perçues mais ne peuvent plus être respectées ; elles sont combattues par des schémas plus ou moins conscients tels que la croyance aliments interdits/autorisés.
  • Les sensations et émotions alimentaires ne sont plus perçues : le contrôle mental domine totalement le comportement alimentaire.
  • Le comportement alimentaire est livré au contrôle des émotions et varie en fonction de la fatigue physique ou mentale, des difficultés affectives, des tracas de la vie, de la transgression des règles de vie…

Pour plus de détails, on peut lire les pages 10 à 17 du travail de Sandra Ruttiens [2]. Celle-ci conclut que, chez la personne en difficulté avec son poids ou son comportement alimentaire, le but recherché serait de lui permettre de « redécouvrir ses sensations alimentaires régulatrices pour lui permettre de retrouver son poids d’équilibre. Si ce dernier, parfois, ne correspond pas au poids idéal ou aux critères de mode que convoiterait la personne, il représente cependant un objectif réaliste auquel il est possible d’accéder et que l’on pourra maintenir dans le temps. Dans la pratique, une démarche de prise en charge pourrait s’articuler autour de trois axes : le traitement de la restriction cognitive, la gestion des émotions et l’acceptation de soi. »

Cette idée est aussi largement développée dans le livre de Jean-Philippe Zermati, Maigrir sans régime, Odile Jacob, 2002, rééd. 2011.

[1] Polivy J., Herman C. P., Dieting and its relation to eating disorders, in Brownell K. D., Fairburn C. G. (eds.), Eating Disorders and Obesity, New York, Guilford Press, 1995, pp. 83-86.

[2] Ruttiens S., Analyse comparative des comportements alimentaires et de l’estime de soi en fonction de la pratique de régimes amaigrissants d’une population estudiantine de jeunes adultes, Institut Paul Lambin, Haute Ecole Léonard de Vinci, UCL, Section Diététique, 2011-2012